Texte et photographies : Michel Marchand - Source : hplimra.wordpress.com
Le point de départ : Ensheim
Membre d’une famille de meuniers de Frauenberg sur la Blies, à 6 km de Sarreguemines, Matthieu ou Matthias Adt (1715-1767) avait repris le moulin de son beau-père à Ensheim1, en Sarre, dépendance de l’abbaye des Prémontrés de Wadgassen2. Un de ses jeunes frères devenu frère lai à l’abbaye de Greifenthal l’incita à fabriquer des objets sculptés en bois lors des périodes d’inactivité au moulin. Son habileté attira l’attention des moines de Wadgassen qui se chargèrent de revendre les objets qu’il fabriquait, en particulier des tabatières, vendues sur les foires sous le nom de Klosterdosen. C’est l’abbé Michael Stein (ab. 1743-1778) qui ayant entendu parler de tabatières en papier mâché laqué fabriquées quelques temps à Paris par un relieur dénommé Martin3 lui donna l’idée d’utiliser ce matériel bon marché. Le succès incita des habitants de son village d’Ensheim et d’autres villages à l’entour à l’imiter4. Un de ses fils : Peter Adt (1751-1808), affranchi de la tutelle de l’abbaye disparue à la révolution, amplifia la production pendant le rattachement à la France, s’orientant avec succès vers des objets à décor patriotique ou guerrier5. Peter II Adt (1777-1849) racheta pour 4000 Gulden l’ancien prieuré des Prémontrés de Wadgassen à Ensheim, pour y installer une usine et diversifier la production d’objets en papier mâché. Une décoration soignée offrit à ses productions un marché étendu vers la France comme vers les états allemands. Peter III Adt (1798-1879), qui avait reçu une éducation soignée et voyagé pendant sa jeunesse donna une nouvelle dimension à l’entreprise.
Peter II et Peter III Adt (documents communiqués par Daniel Adt)
En 1839, Peter III fonda la société des frères Adt (Gebrüder Adt) avec ses 3 fils : Peter IV, Franz et Johann Baptist. En 1849 il fait venir la première machine à vapeur. L’usine d’Ensheim sera l’usine principale de la famille Adt jusqu’en 1870. Peter III devint ainsi un riche notable et le maire d’Ensheim6. . Parmi ses fils Franz Adt prit en charge l’usine d’Ensheim dont il devint à son tour maire de 1863 jusqu’à sa mort en 1870. Il siégea aussi à la chambre des députés de Munich au cours de la même période.
Tombes de la famille Adt à Ensheim
Tombe de Peter Adt III Franz Adt
Franz était aussi député à Munich. Son fils Eduard Adt lui succéda. En 1887, après l’achat de l’usine de papier de Worschwilner, l’usine d’Ensheim employait 800 travailleurs. Les Adt avec l’aide des branches de la famille installées à Forbach et Pont à Mousson ont créé un hôpital à Ensheim en 1889 (Peter Franz Otto Krankenhaus d’après les prénoms des 3 fondateurs, Otto étant un des 2 fils de Johann-Baptist).
Un premier pas vers la France à Forbach
Cependant des droits de douane prohibitifs adoptés en 1826 gênaient l’accès des produits Adt au marché français. Cela amena la famille Adt à fonder en 1844 une seconde usine à Forbach, en territoire français, d’abord confiée à Franz. Des tensions avec des associés amenèrent un transfert vers Sarreguemines 3 ans plus tard mais les avantages de Forbach l’emportèrent avec une implantation définitive en 1853, cette fois sous la direction de Peter IV Adt, le frère de Franz qui avait pris entre temps la direction de l’usine d’Ensheim. La ville de Forbach connaissait alors un essor remarquable avec l’arrivée du chemin de fer dès 1851, l’implantation de la métallurgie et le démarrage de l’extraction houillère à l’instigation des De Wendel. L’usine Adt s’installa le long de la rue nationale dans la ville haute née de la présence de la gare. Peter IV (1820-1900), dirigea l’usine de Forbach de 1853 à 1872. Il avait fait ses études en France et épousé en 1850 une jeune veuve parisienne, mère de 2 enfants : Emilie Milon. Ses enfants Emile et Henri reçurent une éducation française au lycée de garçons de Metz7. Devenu un notable influent de la ville, il demanda et obtint la nationalité française en 1865 ce qui lui permit la même année après des élections municipales qui lui furent très favorables, grâce à un programme pour moderniser la ville, d’être désigné maire de Forbach évinçant Nicolas Audebert en place depuis 1856. Il se fit seconder à la direction de l’usine par un autre de ses frères : Jean-Baptiste (1825-1913). A la mairie, il se montra très dynamique appliquant le programme qu’il avait proposé aux électeurs. La société Adt dota Forbach en 1865 d’une usine à gaz qui permit l’éclairage des rues mais aussi le travail de nuit dans les usines. Il fonda un collège pour garçons, l’église catholique saint Remi (1868), la chorale d’hommes Concordia. Il avait acheté en 1864 le château sainte Croix, ferme école au milieu d’un vaste parc pour l’agrandir et en faire sa résidence.
Conséquence de l’annexion de 1871 : l’implantation à Pont-à-Mousson.
Après l’annexion allemande, Peter IV devenu Pierre par sa naturalisation démissionna de la mairie le 6 juin 1871 pour s’installer en territoire français. Il décida de racheter à Pont-à-Mousson les bâtiments de l’ancienne université devenue école militaire en 1776-1793 puis transformée en logements. La plupart des bâtiments seront démolis pour laisser place à des ateliers. Dès 1873, l’usine où Pierre a réussi à attirer 200 travailleurs de Forbach occupait 420 personnes.
Vers 1900, 800 employés y fabriquent des objets laqués très divers. Le catalogue comportant plus de 1 000 articles la plupart en carton laqué, dénomination préférée par les Adt à celle de papier mâché. Les rubriques du catalogue de 19138 montrent la diversité de la production : étuis à lunettes, articles variés pour fumeur dont les tabatières, les boites à allumettes, à cigarettes, à cigares, articles de bureau : plumiers, porte-plumes, encriers, coupe-papiers, boites à papier à lettres, à timbres, porte-revues, bonbonnières, articles de table : ronds de serviette, bols, pots et boites à thé, plateaux, couverts , les articles de parfumerie et coiffure : boites à épingles, boites à savon, brosses, boites à gants, boites à mouchoirs, les articles pour collectivités (asiles, hôpitaux, pénitenciers, paquebots) : cruches, seaux ,petits meubles , les articles pour peintres et photographes comme les palettes , les articles décoratifs : cache-pots ,paravents. Le décor, la couleur peuvent être choisis par l’acheteur. A en juger par leur survivance dans les musées et chez les brocanteurs, les décors qui ont le plus de succès pour les objets courants sont les décors laqués noirs avec des motifs chinois ou japonais, et les décors sur laque rouge avec des motifs héraldiques. Pour des productions de luxe (vases, meubles), on trouve des décors floraux dans le gout du XVIIIe siècle. Le catalogue comporte même des décors « Nancy », animaux ou fleurs, « primés par l’école de Nancy ». Des incrustations en nacre, en ivoire, en corail peuvent rehausser les plus belles pièces. La société Adt utilisait de nombreux dessinateurs et en envoyait en Extrême-Orient à la recherche de motifs à transposer. Les produits Adt, du côté allemand comme du côté français, étaient très appréciés et régulièrement récompensés par des prix dans les expositions universelles et aux foires de Leipzig. En association avec les Villeroy-Boch de Mettlach, qui produisaient de la céramique et de la verrerie, les Adt avaient ouvert des succursales de vente à Berlin et Nuremberg, Bruxelles, Milan, Paris, Londres et même aux USA.
objets fabriqués par la société Adt avec des motifs orientaux (collection privée)
La famille possédait aussi la cartonnerie de Blénod les Pont-à-Mousson qui alimentait l’usine d’objets en carton laqué et la tuilerie de Jeandelaincourt9, fondée en 1893, confiée à un des membres de la famille : Jacob Fridolin Adt (1841-1909), un cousin de Pierre Adt IV, comptable dans l’entreprise.
Très riche Pierre Adt, organisait des chasses courues par la bonne société. Il faisait tirer chaque année un feu d’artifice pour la saint Pierre. En 1873 il s’était installé dans un logement qui se situait dans la cours de l’usine, juste à côté de son cousin Jacob-Fridolin. En 1892, après le décès de son épouse Emilie MILON, Pierre Adt partit habiter dans la villa Vlaga10, propriété et maison de son fils Emile Adt (1855-1906) située non loin de l’usine, 36 rue du Camp. Elle devait son nom à un cheval qu’il avait fait venir de Russie. Il y entretenait 40 chiens et des chevaux de race. En 1895, la famille acheta une propriété agricole pour faire construire la villa les Glycines au 53 avenue Patton qui qui fut d’abord la résidence particulière de son autre fils Henri Adt (1851-1921) avant d’être plus tard la demeure du maire Hubert Brice (1932-1937) et d’abriter jusqu’à maintenant la CPAM. Pierre Adt était l‘ami de Camille Cavallier (1855-1926), l’administrateur des fonderies de Pont à Mousson. Il avait fondé avec du personnel de l’entreprise en 1879 une société musicale quoi donnait des concerts publics le dimanche. Il ne semble pas s’être impliqué dans la vie politique de Pont-à-Mousson comme il l’avait fait à Forbach, ce qui explique peut-être qu’aucune rue de Pont-à-Mousson ne porte son nom ni d’aucun autre membre de la famille, bien que ses fils aient siégé au conseil municipal : Emile dans les municipalités de 1885 et 1891, Henri dans celle de 1900, et Fridolin dans celles de 1908 et 1914. Leurs idées semblent avoir été celles de républicains modérés, hostiles au boulangisme et soucieux d’apaiser le climat haineux créé par l’affaire Dreyfus11. Cependant à la fin de 1913, les Adt provoquèrent dans le conseil municipal une forte opposition au maire Cabaret qui aboutit à la dissolution du conseil municipal en juin 1914.
Pierre (Peter IV Adt), Henri et Emile Adt (documents fournis par Daniel Adt)
Pierre Adt mourut en 1900. Un de ses fils, Emile (1855-1906) avait fondé sur un terrain attenant à l’usine principale, en bordure de la Moselle, une usine de tubes isolants pour la construction électrique (qui deviendra la société d’usinage de tubes pour l’électricité SUTE, 1904) et s’était associé en 1881 avec son frère Henri (1851-1921), centralien et des cousins d’Allemagne : Edouard Adt (1850-1919), fils et successeur de Franz, mort en 1870, qui développa aussi cette production dans l’usine d’Ensheim et son oncle : Jean Baptiste Adt , directeur de l’usine de Forbach. Henri Adt se retira de l’affaire en 1900 pour vivre en rentier avec sa famille à Paris. Il conserva la villa « les Glycines » dont il avait hérité, revenant régulièrement en villégiature à Pont-à-Mousson. Emile Adt, marié mais resté sans enfant habitait la villa Vlaga. Jacob Fridolin Adt, qui avait pris la direction de la tuilerie de Jeandelaincourt s’était installé à la fin du siècle au château de Rieupt au 36 rue du Port dans un quartier périphérique de Pont-à-Mousson, le faubourg du port, au milieu d’un vaste parc.
Mais Emile mourut prématurément en 1906. Sa veuve Cécile Plichon, si elle garda ses parts jusqu’à sa mort en 1940 ne s’intéressa que de loin à l’entreprise en confiant la surveillance à Marcel Paul-Cavallier, le gendre et futur successeur de Camille Cavallier. L’entreprise subit d’importants dégâts pendant la 1ere guerre mondiale, Pont à Mousson étant sous le feu des canons allemands. Vers 1935 ,cessa la présence des Adt à Pont à Mousson avec la vente de tous leurs biens.
La maison Adt à Forbach
Du côté allemand de la frontière, Jean-Baptiste Adt avait poursuivi l’activité à Forbach. Il était le membre le plus influent du conseil municipal de 1873 à 1901 mais prudemment ne brigua pas la mairie occupée par des maires protestataires puis après 1887 par des maires « altdeutsch », choisis par l‘administration allemande. Dans le conseil municipal il est le premier à accepter de prêter serment à l’empereur en janvier 1874 alors que le maire Charles Odinet préfère démissionner. Il est aussi conseiller général du canton de Forbach depuis 1874 et délégué au Landesauschuss de 1874 à 187912. Cependant il préférera se retirer en 1879, au grand dam de l’administration allemande, ses fonctions électives passant entre les mains d’un protestataire : de Vaulx d’Achy, propriétaire du Remsingerhof, ferme et tuilerie à Folkling à 5 km de Forbach.
En 1887, Jean Baptiste Adt refuse de se présenter contre le député protestataire Jaunez. L’administration allemande ne lui en tiendra pas rigueur. En 1889 il est fait conseiller intime du commerce par l’empereur et donne pour l’occasion une fête somptueuse à Forbach avec 500 invités. On illumine le Schlossberg et on tire un feu d’artifice13. Il achète en 1886 le moulin de la Rosselle pour en faire l’usine de papier de Marienau. Il fonde avec son fils Gustav et quelques associés en 1886 la banque de Forbach. En souvenir de sa femme Marie Schwartz, fille d’un propriétaire de mines de charbon de saint Ingbert, morte en 1903, qui s’est beaucoup investie dans la bienfaisance, et de sa belle-sœur Madeleine, il fonde à Forbach en 1909 l’hôpital Marie-Madeleine.
Jean Baptiste et Gustav Adt (documents communiqués par Daniel Adt)
Son fils Gustav Adt (1860-1922) à qui il laisse la direction de l’entreprise en 1905 va donner une encore plus grande ampleur à sa société avec une gamme de fabrication de plus en plus étendue. Si on fabrique à Forbach les mêmes objets qu’à Pont à Mousson, la fabrication de boutons y deviendra une activité particulièrement importante. On y fabriquera aussi du matériel pour les usines textiles et même des douilles de cartouche de 1890 à 1900 puis des tubes en fer pour diverses industries. Gustav était très engagé dans la vie politique, conseiller municipal à Forbach, conseiller général de 1888 à 1918, conseiller impérial pour le commerce, député au Landtag de Strasbourg créé en 1911. Son importance comme industriel est reconnue par sa nomination en 1912 à la tête de l’association centrale des industriels allemands. Il est aussi membre de la chambre de commerce de Metz. L’œuvre des Adt dans la ville est très importante : Ils sont à l’origine de la modernisation de Forbach, faisant profiter la ville des équipements créés pour les besoins de l‘entreprise : canalisation de la source d’Oeting pour approvisionner la ville en eau potable (1892), installation de l’éclairage au gaz, de l’électricité (fournie par la centrale de Bliesschweyen près de Sarreguemines, en 1897), lutte contre les épidémies et les incendies, instauration de cours gratuits pour adulte. Les usines comptent jusqu’à 1400 employés en 1914. Les Adt s’inscrivent dans la tradition du « patronage »14 propre aux industriels allemands qui anticipent souvent les lois sociales de l’Allemagne de Guillaume II .Ils fondent une coopérative en 1902 (à l’angle de la rue nationale et de la rue Poincaré actuelles), font construire une salle de musique, un foyer pour les ouvriers (Arbeiterheim, avenue de Spicheren), des maisons ouvrières (Adt Feld). En 1886 Gustav Adt, qui s’intéressait comme son père à l’histoire et à l’archéologie, participe à la fondation de la SHAL (société d’histoire et d’archéologie lorraine). Il avait acheté la colline du Schlossberg et y avait fait des fouilles exhumant les ruines du château-fort des comtes de Forbach. En 1891 il charge l’architecte de la « rénovation » de la cathédrale de Metz : Paul Tornow d’édifier une grande tour octogonale de 30 m sur la base de la tour ronde d’Arnoul de Sierck, accolée à une « salle des chevaliers » en style néogothique pour présenter ses collections. Il fait aménager un parc sur la colline et construire une ferme modèle, le Burghof.
Le Schlossberg : la Rittersaal et la tour
L’Adtschloss sur la rue nationale est agrandi de 1911 à 1913 et doté d’un beau parc. Gustav Adt a sollicité un architecte connu, Theodore Fischer (1862-1938), professeur d’architecture à l’université technique de Munich, un représentant de l’historicisme qui dérivera vers un néo germanisme apprécié du régime nazi, plaque sur la façade une grande loggia dans le style de la renaissance italienne et un portique. Des sculptures : bas-reliefs sur la façade, cerfs aux extrémités du portique, statue de Diane avec un cerf à ses pieds dans le parc évoquent essentiellement la chasse, grande passion des Adt qui possédaient des actions dans les chasses dans les secteurs de Boulay et Remilly.
L’Adtschloss
En dépit de l’annexion, les liens étaient restés étroits entre les branches « allemande » et « française » de la famille, même financièrement15 malgré la transformation en société anonyme en du côté allemand en 1901 (Gebrüder Adt Aktiongesellschaft) et le fait que les activités du côté français avaient été transférées à la Société Nouvelle des établissements Adt avec un siège social à Paris, 45 rue de Turbigo. Mais la famille Adt apparaissait à Forbach de plus en plus liée à l’autorité allemande. Gustave Adt, officier de réserve de l’armée bavaroise, fréquentant les autorités militaires allemandes, ami du comte von Zeppelin, président du Bezirk Lothringen de 1901 à 1912 était perçu comme le chef des germanophiles à Forbach. Admirateur de Bismarck dont il avait installé la statue dans son parc, il avait aussi financé avec son père le monument de Forbach en hommage à l’empereur Guillaume Ier en 189816. Il avait aussi milité pour l’installation d’une petite garnison allemande en 189017. Cette situation avait été exploitée par une famille d’industriels installés à Forbach qui s’étaient vite posés en rivalité avec la famille Adt : les Couturier. Charles Louis Couturier, né à Neunkirchen en 1801, commerçant à Sarreguemines avait fondé à Forbach en 1828 une verrerie pour bouteilles et vitres (revendue en 1840) et en 1832 la tuilerie de la Melpoule , rachetée à la comtesse de Forbach qui prit une grande importance sous l’impulsion de son fils Léon après 1870 au point de devenir la plus importante usine de tuiles mécaniques de l‘empire allemand. Les installations de la tuilerie voisinaient avec celles des Adt sur l’actuelle rue Nationale menant à la gare, avec 500 employés au tournant du siècle. Une rivalité politique opposa les 2 familles à la fin du XIXe siècle. Lorsqu’en 1888 , Gustave Adt enleva le siège de conseiller général détenu depuis 1882 par Léon Couturier, cela fut perçu comme un casus belli. Entré au conseil municipal en 1896 , son frère ainé Léon va s’employer à combattre l’influence des Adt qui soutenaient le maire allemand Jakob Wolter (1890-1902). Soit par opportunisme, soit sous l’influence de ses liens familiaux, Louis Couturier se pose en chef de file des francophiles, victime de l’autorité allemande qui s’oppose à ce qu’il devienne maire en 1902 malgré sa victoire aux élections et à sa présence au Landtag en 1911. Cette rivalité s’exacerbe avec la guerre mondiale pendant laquelle les affaires de la société Adt prospèrent alors que celles de la famille Couturier périclitent.
Dès le 11 novembre 1918, Louis Couturier prend sa revanche. Il est nommé maire provisoire et administrera la ville de 1918 à 1925 jusqu’à ce que la gauche provoque sa chute . Gustave Adt est expulsé et ses biens mis sous séquestre. La rue qui avait pris le nom de Adt parce que construite sur des terrains donnés à la municipalité par Jean Baptiste est débaptisée18 . La municipalité rachètera le château et le Berghof en 1922 pour en faire un parc public et y installer une école de plein air . Elle cédera le terrain d’équitation des enfants Adt pour en faire le stade de football inauguré en 192319. L’Adtschloss et son jardin seront incorporés à l’hôpital des Houillères20, créé par la famille de Wendel, qui avait installée depuis 1853 des hauts-fourneaux à Stiring-Wendel et y avait démarré l’exploitation houillère.
La fin d’une aventure industrielle.
Gustave tentera de fonder une nouvelle usine en Allemagne à Wächtersbach mais il meurt prématurément d’une crise cardiaque en 1922, sa famille s’installant ensuite à Bad Orb. Les Adt de Pont-à-Mousson où les usines ont subi d’importants dégâts pendant la guerre de 1914-18, rachèteront une partie des installations industrielles de Forbach en 1922 constituant la Société Nouvelle des établissements Adt, qui sera vendue en 1927 à un groupe de financiers français, la famille Adt ne conservant qu’une participation très minoritaire. Alors que les entreprises Adt avec 6 usines comptaient 3300 salariés en 1914, à Ensheim, Forbach, Marienau (cartonnerie), Schwarzenacker (cartonnerie) du côté allemand, Pont-à-Mousson, Blénod les Pont-à-Mousson (cartonnerie) du côté français, la guerre a amené un déclin irréversible. Les liens entre la société allemande et la société française qui s’étaient maintenus malgré l’annexion de 1871, avec une répartition des marchés21 et un échange d’innovations sont rompus. Les objets en carton laqué n’ont plus la faveur des consommateurs qui vont se tourner vers les objets en résine et matière plastique. A Pont à Mousson, la majeure partie des terrains fut utilisée pour bâtir l’internat et le gymnase du lycée de garçons . Après les destructions encore plus importantes de septembre 1944, les Allemands incendiant les bâtiments avant de quitter Pont-à-Mousson, soumise en outre à d’intenses bombardements, les derniers terrains de l’usine Adt déblayés furent utilisés pour construire le collège. La construction électrique transférée à Blenod les Pont-à-Mousson se maintiendra plus longtemps et disparaitra dans les années 60 tout comme l’usine d’Ensheim. La famille Adt continua à diriger la tuilerie de Jeandelaincourt, en la personne d’Emile Fridolin Adt ( 1869-1922) qui avait succédé à son père Jacob en 1909, puis après sa mort , de son frère Louis (1880-1958), diplômé HEC, qui la dirigea pendant près de 50 ans. En 1931, Louis Adt fonda une seconde usine à Champigneulles grâce à une carrière d’argile locale. Après sa mort, l’usine de Champigneulles fut arrêtée en 1967, Jeandelaincourt étant modernisées par son fils Guy Adt (1908-1999), mais un gigantesque incendie en 1969 l’amena à vendre tout ce qu’il possédait en Lorraine et à se retirer à Paris. L’activité cessa définitivement en 1980.
Notes
1 Ensheim , village situé à une dizaine de km de Sarrebrück est depuis 1974 un quartier de l’agglomération , où se trouve l’aéroport. Dépendance de l’abbaye de Wadgassen, rattachée à la France en 1766, incorporée au département français de la Sarre, sous la Révolution et l’Empire, Ensheim a fait partie du Palatinat bavarois de 1816 à 1918 puis a subi les vicissitudes de la Sarre qui ont fortement nui aux affaires de la société Adt du fait des déplacements de frontières douanières. L’église paroissiale est dédiée à saint Pierre ce qui explique peut-être la fréquence du prénom Peter dans cette famille. Le village a donné le nom de personnes de la famille Adt2 à plusieurs rues et le cimetière abrite plusieurs tombes liées à cette famille, dont celle de Peter III avec son effigie sur un médaillon de bronze . On trouve un site très documenté sur l’histoire d’Ensheim et la présence de la famille Adt sur www.ensheim-saar.de
2 L’abbaye des Premontrés à Wadgassen , située sur la Sarre entre Sarrelouis et Völklingen fait partie de cette série de grandes abbayes jalonnant la basse vallée de la Sarre avec Mettlach, Merzig et saint Arnoul dans les faubourgs de Sarrebrück .Pour contrer les empiètements du comté de Sarre, l’abbé Mikael Stein obtint en 1766 le traité de Bockenheim qui coupait les liens entre l’abbaye et la Sarre et la rattachait au royaume de France. L’abbaye a été ruinée et supprimée par la révolution en 1792.
3 Le procédé de fabrication venu d’Extrême-Orient était parvenu à Venise au XVIe siècle par le Moyen-Orient. Il s’était répandu au XVIIIe siècle en Angleterre, dans les Midlands.
4 vers 1800, selon Jean Claude Flaus, 250 familles de la région notamment à Grossbliederstroff fabriquent des tabatières.
5 les armées françaises occupent dès 1792 la Sarre et le Palatinat qui deviendront sous Napoléon les départements français de la Sarre et du Mont Tonnerre avec pour limite entre les deux le cours de la Blies. En 1815 la Sarre revient à la Prusse et le Palatinat à l’Autriche qui le cède par échange à la Bavière. Ensheim fait partie du Palatinat bavarois alors que Sarrebrûck appartient à la Prusse.
6 la famille Adt a donné 4 maires à Ensheim depuis le XVIIIe siècle dont Franz de 1863 à 1870, son fils Edouard à partir de 1880, qui sera aussi élu député au Reichstag en 1890 et 1893, et Hans en 1955-1960.
7 cf : Aline Cordani : le Lycée Fabert, 2000 ans d’histoire.Ed. Serpenoise 2006, p 140
9 on trouvera une notice sur l’histoire de la tuilerie de Jeandelaincourt sur le site de la municipalité www.jeandelaincourt.fr ainsi que dans l’article de Daniel Adt dans la revue Généalogie Lorraine 2015
10 On trouve une description de la villa dans les itinéraires de la CAUE (conseil d’architecture d’urbanisme et d’environnement) sur le site www.caue54.com
11 cf Pierre Lallemand : Un siècle de vie quotidienne. Pont à Mousson. Ed Pierron 2001.
12 le Landesauschuss, délégation d’Alsace-Lorraine, à Strasbourg est créé en 1874, composé de délégués des conseils généraux (Bezirkstage). Il n’a d’abord qu’un rôle consultatif jusqu’en 1877 où il obtient des pouvoirs législatifs.
13 la même année à Pont à Mousson, son frère Pierre est fait chevalier de la Légion d’honneur et donne lui-aussi une grande fête avec 800 invités et un feu d’artifice.
14 selon le terme utilisé par François Roth
15 Jean Baptiste percevait ainsi ¼ des bénéfices réalisés à Ensheim et Pont à Mousson. Les Adt du Reichsland étaient actionnaires de la société de droit français tout comme les Adt de France étaient actionnaires de la société de droit allemand (Gebrüder Adt). On trouvera plus de précisions dans l’article de Daniel Adt. .
16 le monument : un buste de l’empereur se trouvait dans un petit square à l’extrémité de la Kaiser Wilhelm strasse devenue l’avenue Passaga.
17 un bataillon du train pour lequel on construit la Trainkaserne (1893) devenue par la suite la caserne Guise. La vie militaire à Forbach a donné lieu à un curieux livre condamné en 1913 par les autorités allemandes, traduit et réédité récemment par les éditions des Paraiges : Petite garnison, du lieutenant Bilse.
18 Elle devient la rue de Verdun. On rendra plus tard justice aux Adt en donnant le nom de Pierre (III) Adt , le maire à l’époque française à qui l’on devait le premier collège à Forbach, au collège de la rue de Remsing
19 voir le site sur le foot-ball à Forbach de Jerome Demeraux (pages perso)
20 l’Adtschloss sera réquisitionné pendant la seconde guerre mondiale pour y installer l’administration allemande puis retrouvera après la libération sa fonction hospitalière jusqu’à une époque récente.
21 L’usine de Pont-à-Mousson avait pour marché la France et son empire colonial, les usines de Forbach et Ensheim le reste du monde.